Randonnées en Centre Corse, marcher ou courir dans la beauté naturelle
Le centre
Corse compose l'épine dorsale de l'île de Beauté, territoire vertical où la
roche dispute le ciel aux nuages. Cette région montagneuse, organisée autour de
Corte l'ancienne capitale, concentre les plus beaux itinéraires de randonnée de
Méditerranée. Les massifs culminent à plus de deux mille sept cents mètres, les
vallées glaciaires abritent des lacs d'altitude d'une pureté sidérante, les
forêts ancestrales de pins laricio dressent leurs cathédrales végétales. Le
GR20, sentier mythique traversant l'île du nord au sud, serpente sur ces
hauteurs en offrant des panoramas vertigineux. Mais le centre Corse ne se
résume pas à ce parcours légendaire, vallées de la Restonica et du Tavignano,
ascension du Monte Cinto, plateau de Coscione, forêt de Vizzavona composent une
palette variée. Ces itinéraires, du niveau facile au très difficile, révèlent
une Corse alpine méconnue des plages estivales. Découvrons ensemble ces
sentiers d'exception où granite, pins centenaires et torrents glacés dessinent
des paysages à couper le souffle.
Vallée de la Restonica, gorges étroites et lacs glaciaires
La vallée de la Restonica s'ouvre à quelques kilomètres au sud-ouest de Corte, remontant vers les hauteurs par une route sinueuse de quinze kilomètres. Les gorges étroites, taillées dans le granite par le torrent tumultueux, créent un défilé spectaculaire. La route, étroite et sinueuse, nécessite une conduite prudente. Les vasques d'eau émeraude, creusées dans la roche polie, invitent à la baignade rafraîchissante. Les pins laricio, essences endémiques corses atteignant cinquante mètres de hauteur, colonisent les versants jusqu'à mille huit cents mètres d'altitude. Leur écorce grise argentée, leurs aiguilles longues, leur port majestueux composent une silhouette reconnaissable.
Le parking
des bergeries de Grotelle, terminus routier à mille quatre cents mètres
d'altitude, marque le départ des randonnées vers les lacs glaciaires. Le
sentier grimpe immédiatement, caillouteux et raide, à travers aulnes verts et
genévriers nains. Le dénivelé important, trois cent cinquante mètres sur deux
kilomètres, essouffle rapidement. Les pauses fréquentes permettent d'admirer la
vallée qui se déploie progressivement en contrebas. Le refuge de la Restonica,
bergerie rénovée proposant rafraîchissements et encas, marque la mi-parcours.
Les marcheurs y reprennent souffle avant l'ultime montée.
Le lac de
Melo surgit comme une récompense après une heure trente d'effort. Cette vasque
glaciaire de six hectares, nichée dans un cirque de granite à mille sept cent
dix mètres d'altitude, révèle une eau d'un vert laiteux caractéristique. Les
particules rocheuses en suspension, broyées par les glaciers disparus,
confèrent cette teinte unique. La température de l'eau, rarement supérieure à
quinze degrés même en plein été, dissuade les baignades prolongées. Les plus
courageux s'y immergent néanmoins, expérience vivifiante garantie. Le cadre
minéral, parois verticales encerclant le lac, ajoute une dimension dramatique
au tableau.
Le lac de
Capitello, perché cent cinquante mètres plus haut, se rejoint par un sentier
technique équipé de câbles métalliques. La progression sur dalles inclinées,
blocs erratiques et éboulis exige pied sûr et absence de vertige. Une heure
supplémentaire mène à ce second joyau, plus vaste et profond que son voisin
inférieur. L'amphithéâtre rocheux qui l'enserre atteint des proportions
grandioses. Les névés persistent souvent jusqu'en juillet sur les versants nord.
Cette randonnée, classique du centre Corse, attire de nombreux marcheurs en
saison estivale. Le départ matinal, avant huit heures, évite l'affluence et la
chaleur.
Vallée du Tavignano, remontée sauvage vers le lac de Nino
La vallée du
Tavignano, jumelle méconnue de la Restonica, offre une alternative plus sauvage
et moins fréquentée. Le départ s'effectue depuis Corte même, traversant le
Tavignano sur une passerelle suspendue oscillant légèrement sous les pas. Le
sentier, ancien chemin muletier pavé par endroits, remonte la rivière en rive
droite. Les châtaigniers, les chênes verts, les pins maritimes composent une
forêt mixte odorante. Le torrent cascade sur les rochers polis, créant vasques
et rapides. Les baignades ponctuent agréablement la progression, eau fraîche
désaltérant les jambes échauffées par la marche.
La bergerie de Traghjete, refuge gardé en saison estivale, marque la première étape importante après trois heures de marche. Les gardiens, bergers reconvertis dans l'accueil montagnard, proposent nuitées en dortoir et repas traditionnels. Le fromage de brebis frais, les charcuteries fermières, la soupe corse composent des dîners rustiques et généreux. Les conversations avec les autres randonneurs, échanges d'expériences et de conseils, tissent une convivialité montagnarde. Le coucher du soleil sur les crêtes environnantes, teintes orangées embrasant le granite, offre un spectacle quotidien gratuit.
La poursuite
vers le lac de Nino nécessite une journée supplémentaire. Le sentier quitte la
vallée du Tavignano pour grimper vers le plateau à travers aulnaies et pelouses
alpines. Les pozzines, prairies humides typiques des hauts plateaux corses,
tapissent les dépressions. Ces zones marécageuses, alimentées par les sources
et la fonte des neiges, verdissent intensément au printemps. Les pozzi, vasques
d'eau pure parsemant le plateau, abreuvent les troupeaux. Vaches et chevaux
corses, élevés en semi-liberté, paissent ces espaces sans clôtures. Les
sonnailles tintent dans le silence montagnard, ponctuation sonore apaisante.
Le lac de
Nino, à mille sept cent quarante-trois mètres d'altitude, compose un tableau
pastoral d'une douceur contrastant avec la dureté minérale des lacs de
Restonica. Les rives herbeuses, les îlots flottants de végétation, les reflets
des nuages sur l'eau calme créent une atmosphère contemplative. Les bergers y
montent leurs troupeaux de mai à octobre, perpétuant une transhumance
millénaire. Les cabanes de pierre sèche, abris sommaires, ponctuent le plateau.
Cette randonnée de trois à quatre jours en itinérance, moins technique que
celle vers Capitello, séduit les marcheurs en quête d'immersion nature et de
solitude relative. Le centre Corse révèle ici sa dimension pastorale préservée.
Monte Cinto, ascension du toit de la Corse
Le Monte Cinto,
point culminant de l'île à deux mille sept cent six mètres, attire les
randonneurs alpinistes en quête d'altitude maximale. L'ascension classique
depuis le col de Vergio, à mille quatre cent soixante-dix mètres, nécessite six
à huit heures aller-retour selon le rythme. Le dénivelé important, mille deux
cent cinquante mètres, exige une condition physique solide et une acclimatation
préalable à l'altitude. Le sentier, balisé mais technique dans sa partie
supérieure, traverse successivement forêt de pins, landes à genévriers,
pierriers d'altitude, crête aérienne finale.
La forêt de
Valdoniello, traversée en début d'ascension, abrite des pins laricio
monumentaux. Ces arbres séculaires, dont certains dépassent quarante mètres,
composent une cathédrale végétale majestueuse. Le sous-bois ombragé offre une
fraîcheur bienvenue lors des départs estivaux. La progression dans les landes
subalpines révèle progressivement les panoramas, le golfe de Porto au
nord-ouest, les massifs intérieurs au sud et à l'est. Les névés persistent
jusqu'en juin sur les versants nord, nécessitant parfois crampons et piolet
pour une progression sécurisée.
La crête sommitale, aérienne et exposée, nécessite pied sûr et absence de vertige. Les câbles installés dans les passages les plus délicats sécurisent la progression. Les dalles inclinées, parfois glissantes par temps humide, exigent vigilance constante. Le vent, souvent violent sur cette ligne de crête, complique la progression. Les vêtements chauds, indispensables même en plein été, protègent du refroidissement rapide en altitude. La dernière montée, courte mais raide, débouche enfin sur le sommet matérialisé par une croix métallique et une borne géodésique.
Le panorama
depuis le Monte Cinto justifie amplement l'effort consenti. Le regard embrasse
l'intégralité de la Corse du Nord, Cap Corse au nord, Balagne au nord-ouest,
massifs centraux au sud, mer Tyrrhénienne à l'est. Par temps clair, la
Sardaigne se dessine au sud, la Toscane au nord-est. Les sommets voisins,
Paglia Orba, Capo Tafunato, composent un horizon rocheux tourmenté. Cette
ascension, sommet de l'alpinisme corse accessible sans matériel technique
majeur, procure une satisfaction intense. Le retour, moins exigeant
physiquement mais nécessitant concentration dans les descentes raides, ramène
aux bergeries de Vergio où une bière fraîche récompense les efforts. Le centre
Corse atteint là ses plus hautes altitudes, ses défis les plus relevés.
Forêt de Vizzavona et GR20, pins géants et mythique sentier
Vizzavona, à
neuf cent dix mètres d'altitude, compose une halte incontournable du centre
Corse. Cette station de montagne, traversée par la ligne de train
Ajaccio-Bastia, offre fraîcheur estivale et randonnées variées. La forêt
domaniale environnante, l'une des plus belles de Méditerranée, abrite des pins
laricio exceptionnels. Certains spécimens dépassent cinquante mètres de hauteur
et quatre cents ans d'âge. Leurs troncs droits et élancés, leur écorce grise
marquée de plaques noires, leur houppier étalé composent une silhouette reconnaissable
entre toutes.
La cascade des Anglais, accessible par un sentier facile d'une heure aller-retour depuis la gare, constitue une balade familiale rafraîchissante. Le ruisseau dévale une succession de ressauts rocheux créant bassins et cascatelles. Le nom provient des officiers britanniques qui fréquentaient ce site au XIXe siècle lors de leurs cures à Vizzavona. Les baignades dans les vasques d'eau glacée, l'ombre des hêtres et des sapins, le chant de l'eau sur les rochers composent une ambiance bucolique. Les familles y pique-niquent, les enfants barbotent, les photographes immortalisent les jeux de lumière filtrant à travers le feuillage.
Le GR20,
sentier mythique traversant la Corse du nord au sud, passe par Vizzavona. Cette
étape, la neuvième sur seize, marque souvent une pause logistique. Les
randonneurs y ravitaillent, postent du matériel superflu, profitent d'un lit
confortable après des nuits en refuge spartiate. La montée vers le refuge de
l'Onda, étape suivante, s'effectue par une magnifique forêt de hêtres et de
sapins. Le col de Palmente, à mille seize mètres, offre une vue dégagée sur le
massif du Renoso. La descente vers Capanelle traverse des paysages variés,
alternant forêts et landes d'altitude.
Les
trekkeurs n'effectuant pas l'intégralité du GR20 choisissent souvent des
sections autour de Vizzavona. La portion entre le col de Vizzavona et
Capanelle, réalisable en deux jours avec nuit au refuge de Prati, offre un
condensé représentatif, forêts majestueuses, passages rocheux techniques, panoramas
montagnards, bergeries traditionnelles. Cette immersion dans l'univers du GR20,
sans l'engagement total des seize jours, permet d'appréhender ce qui fait la
réputation du sentier. Le centre Corse, traversé sur toute sa longueur par ce
parcours légendaire, cristallise l'essence de la randonnée insulaire, exigence
physique, beauté des paysages, rencontres humaines, dépassement de soi.
Plateau de Coscione, prairies d'altitude et pozzines secrètes
Le plateau
de Coscione s'étale entre mille quatre cents et mille six cents mètres
d'altitude dans le centre-sud de la Corse. Cette vaste étendue ondulante,
s'étirant sur plusieurs kilomètres, évoque davantage les hauts plateaux d'Asie
centrale que les reliefs méditerranéens classiques. Les pozzines, prairies humides
spécifiques de ces altitudes, verdissent intensément au printemps. Le réseau
hydrographique dense, ruisselets serpentant entre les bosses herbeuses,
alimente ces zones marécageuses. Les pozzi, vasques d'eau pure, reflètent le
ciel dans une limpidité cristalline.
L'accès au plateau s'effectue depuis plusieurs points. La route forestière de Zonza permet de rejoindre les bergeries de Bitalza en véhicule. De là, les sentiers rayonnent dans toutes les directions. La randonnée jusqu'au lac de l'Ospedale, plan d'eau artificiel aux reflets turquoise encadré de pins laricio, s'effectue en deux heures environ. Le parcours, relativement plat hormis quelques montées modestes, convient aux familles et aux marcheurs débutants. Les troupeaux de vaches et de chevaux corses, race rustique élevée en semi-liberté, paissent ces espaces sans clôtures. Les sonnailles, tintant dans le silence montagnard, créent une bande-son pastorale apaisante.
Les bergers
montent au Coscione de mai à octobre, perpétuant une transhumance séculaire.
Les bergeries de pierre sèche, constructions traditionnelles aux murs épais et
aux toits de lauzes, ponctuent le plateau. Certaines, encore habitées en
saison, proposent fromages frais et brocciu aux randonneurs. Ces échanges,
simples et authentiques, tissent un lien avec le territoire et ses habitants.
Les récits des bergers, vie pastorale rythmée par les saisons et les conditions
climatiques, révèlent une Corse rurale préservée. La dégustation de fromage de
brebis affiné, accompagnée d'un verre de vin corse, compose un moment de
convivialité mémorable.
Les
randonnées en itinérance traversant le Coscione s'inscrivent dans des circuits
plus vastes reliant Alta Rocca et massif de Bavella. Le sentier Mare a Mare
Sud, traversée de l'île d'est en ouest, emprunte le plateau sur plusieurs
kilomètres. Les gîtes d'étape jalonnant l'itinéraire permettent de randonner
sans tente, confort apprécié après une journée de marche. Le plateau révèle ses
plus beaux atours au printemps, lorsque les pozzines se couvrent de fleurs
alpines, anémones, gentiane, orchidées sauvages composent un tapis multicolore.
Les photographes affectionnent particulièrement cette période où la nature
explose en couleurs. Le centre Corse dévoile là sa facette la plus douce, ses
paysages les plus apaisants, contraste bienvenu après les défis verticaux des
vallées glaciaires.
Castagniccia, forêts de châtaigniers et villages sculptés dans le schiste
La
Castagniccia, région du centre-est de la Corse, tire son nom des immenses
forêts de châtaigniers qui la recouvrent. Ces arbres, introduits par les Génois
au XVe siècle, composaient la base alimentaire de la population jusqu'au XXe
siècle. Les châtaignes, séchées puis moulues en farine, nourrissaient hommes et
cochons. Les forêts, abandonnées progressivement après la Seconde Guerre
mondiale, reprennent aujourd'hui vie grâce aux initiatives de revalorisation.
Les randonnées en Castagniccia traversent ces cathédrales végétales où l'ombre
dense et la fraîcheur règnent même en plein été.
Les villages perchés, accrochés aux versants schisteux, composent un patrimoine architectural remarquable. Piedicroce, La Porta, Morosaglia se visitent en combinant marche et découverte culturelle. Les églises baroques, richement décorées de stucs et de fresques, contrastent avec la rusticité des maisons villageoises. La Casa Musicale de Piedicroce, ancien couvent transformé en centre culturel, organise concerts de musique traditionnelle corse. Les sentiers anciens, chemins muletiers pavés reliant les hameaux, serpentent à travers les châtaigneraies. Les murets de pierre sèche, les ponts génois enjambant les ruisseaux, les fontaines villageoises témoignent d'un aménagement ancestral du territoire.
La randonnée
du sentier du Patrimoine relie plusieurs villages emblématiques en une journée
de marche. Le départ de Piedicroce mène à Campana puis La Porta, traversant
forêts de châtaigniers et oliveraies en terrasses. Les dénivelés modestes, la
bonne signalisation, la proximité des villages où se ravitailler font de cet
itinéraire une introduction idéale à la randonnée en Castagniccia. L'automne,
saison des châtaignes, révèle la région sous son plus beau jour. Les feuillages
prennent des teintes dorées et rousses, les châtaignes jonchent les sentiers,
l'air embaume les champignons et l'humus. Les foires à la châtaigne, organisées
dans plusieurs villages, célèbrent ce fruit ancestral par des dégustations, des
démonstrations artisanales, des animations festives.
Le centre Corse révèle ainsi une facette culturelle et patrimoniale complémentaire de sa
dimension alpine. Les randonnées en Castagniccia, moins spectaculaires que
celles vers les lacs glaciaires, compensent par leur richesse historique et
leur douceur paysagère. Cette région, longtemps cœur démographique et
économique de l'île, conserve les traces d'une civilisation agro-pastorale
sophistiquée. Marcher ces sentiers, c'est remonter le temps, comprendre
l'organisation territoriale insulaire, saisir l'adaptation millénaire des
Corses à leur environnement montagneux. Les gîtes villageois, les auberges
traditionnelles proposent hébergement et restauration dans une ambiance
familiale authentique.
Le centre Corse, paradis vertical des randonneurs
Le centre
Corse concentre l'essence de la randonnée méditerranéenne dans ce qu'elle a de plus
exigeant et de plus gratifiant. Les reliefs alpins, les vallées glaciaires, les
forêts ancestrales, les plateaux d'altitude composent une diversité de paysages
rarement égalée sur un territoire aussi compact. Du randonneur débutant au
trekkeur chevronné, du contemplatif au sportif, du solitaire au convivial,
toutes les approches trouvent leur terrain d'expression. Les infrastructures,
refuges gardés et non gardés, gîtes d'étape, bergeries accueillantes,
facilitent l'organisation logistique sans compromettre le caractère sauvage des
itinéraires.
La
saisonnalité influence profondément l'expérience. Le printemps révèle une
nature en explosion florale, des torrents gonflés par la fonte des neiges, des
températures clémentes en basse altitude mais encore fraîches en haute
montagne. L'été garantit l'accès aux plus hauts sommets, des journées longues
permettant des randonnées ambitieuses, mais impose la chaleur en vallée et
l'affluence sur les sites mythiques. L'automne compose peut-être la saison
idéale, températures agréables, lumières dorées sublimant les paysages,
châtaignes et champignons garnissant les sous-bois, fréquentation modérée
restituant la tranquillité aux sentiers.
Les sommets corses ne se donnent pas facilement, ils se méritent par la sueur et la persévérance, mais leurs récompenses - vues imprenables, lacs cristallins, forêts cathédrales - dépassent largement l'investissement consenti. La montagne corse forge les souvenirs les plus intenses, ceux qui perdurent longtemps après le retour en plaine.














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